Lecture offerte : pages 12 & 13
04/03/2009 10:47 par miart
La Dette
de l’auteur Pat GEAIMÉ
Gilles sort de sa poche son baladeur, qu'il débarrasse hâtivement des brins de tabac qui s'y trouvent collés.
- Ce fichu truc est tombé en rideau ce matin.
Alain éclate de rire et questionne :
- Qu'est-ce que tu étais en train d'écouter ? Tu sais que ces appareils sont programmés en usine pour tomber en défaut quand on essaie de leur faire jouer « L'Internationale » ?
- Très drôle ! grogne Gilles, un brin vexé.
- Bon, tu voudrais que je répare ce truc, c'est ça ?
- Je me suis dit que si toi, tu n'y arrives pas, personne ne le peut. Figure-toi que c'est le troisième que je m'achète en un an, et je commence à en avoir marre ! J'ai jeté les deux autres, aucun réparateur ne voulait me les reprendre, et bien entendu la garantie était passée.
Gilles est maintenant échauffé, son visage a rougi quelque peu. Alain sent venir la diatribe contre cette société de vils marchands qui ne pense qu'à enrichir les plus malins au détriment des pauvres gens, etc. Il faut qu'il arrête le char avant qu'il ne prenne trop d'élan.
- Je veux bien, Gilles, mais tu te rends compte que tu me demandes de passer des heures sur un machin qui ne vaut même pas cinquante euros ? Je préfère encore te donner tout de suite un billet et tu fonces t'en acheter un neuf.
- Alain, pour qui tu me prends ? s'indigne soudain Gilles, emporté dans un de ses subits accès de feinte et — croit-il — salutaire colère. Je ne viens pas te demander la charité, je te demande un simple petit service entre amis.
- Mais Gilles, nom de Dieu ! Si tu veux me faire dire que ce truc est une merde, j'en conviens. Si tu veux que je concède qu'il est fabriqué par des firmes qui n'ont en tête que la rentabilité immédiate, c'est bon ! Mais de grâce, fous-moi ça à la poubelle et laisse-moi retourner à mon boulot.
C'est là que Gilles fait usage de son arme fatale, frisant la déloyauté. Il exhibe son sourire. Un simple sourire qui dit tout. Les yeux bleu innocent revivent les aventures communes, la bouche confirme et se retient de raconter les joies, les peurs aussi, surmontées en commun, de citer les phrases qui les unissent depuis si longtemps. Tout se trouve dit comme auparavant.
- C'est bon, Gilles, capitule Alain. Donne-moi ça !
- Tu vas le tester, hein ? demande Gilles, rasséréné, tout en gardant sa prise sur le baladeur.
- Oui, je te promets.
- Mais en détail, hein ? Parce que, Alain, ce n'est pas le prix de ce foutu bidule qui m'a conduit à toi. Je veux savoir, tu comprends ? Je veux savoir pourquoi ces saloperies tombent en panne sans crier gare, et comme par un fait exprès, en dehors de la période de garantie.
— Felis silvestris lybica.
de l’auteur-éditeur MiA DoMa
Comme tous les matins, je me lève, fraîche et dispose, avec toujours ce rappel d’impression que la nuit était bien remplie ; voire la journée d’hier.
Alors, la nouvelle va-t-elle être aussi pleine ? Je l’espère, car je n’aime, toujours, jamais rester sans rien faire, sans avoir rien fait, sans rien à faire.
Déjà, pour commencer, avant même de m’occuper de moi ; je me charge de mon Lou d’amour ; qui s’est levé quant moi, en roucoulant tout en haussant son dos pour arrondir son élasticité et d’ensuite creuser son épine dorsale pour étirer sa musculature. Je m’applique à faire de même. C’est si performant comme résultat que de pratiquer cette mini gymnastique du réveil félin ! C’est la remise en marche corporelle la plus agréable qui soit.
Le roucoulement — puisqu’il faut bien l’appeler ainsi — de mon chat, est également à pratiquer en retour du sien, pour un dialogue des plus sympathiques de début du jour. Le dialogue est noué ainsi au plus vite entre nous deux, suivi de quelques caresses de côtés et de léchouilles (1) et frottements de têtes de l’autre, et nous voici sur la même longueur d’onde.
Nous nous dirigeons vers le lieu de nos agapes pour que je nous serve notre premier repas de la journée. Tant que je ne suis pas servie et attablée, Lou ne le fait pas non plus. Pour chaque fois l’encourager à débuter sans m’attendre, je le flatte en lui citant son son préféré « hum, c’est bon ! ».
Ouh, là ! Il se passe quoi ?
Lou se hérisse du poil, sur tout le corps et feule de peur.
Une décharge électrique au contact de sa fourrure m’agresse ; et des « flashes », en images vives, m’assaillent. Lou, la gueule grande ouverte pleine de crocs massifs, longs et extrêmement pointus, apparaît très agressif. Sa denture est baignée de sang qui coule en gouttes épaisses des bords de ses babines. Comme s’il venait de mordre dans de la chair vivante gorgée de sang frais... chaud.
CHAOS -
Futur sans avenir
de l'auteur Pat GAIMÉ
Assis ce matin-là au troisième rang dans l'amphithéâtre de la Faculté de Médecine de Clerval, Fabien Parilet est loin de se douter qu'il va devenir l'homme le plus courtisé, le plus haï, et le plus recherché de la planète.
Il s'ennuie avec application, regardant plutôt qu'écoutant le doyen de la Fac présenter son établissement et rappeler les buts poursuivis dans les laboratoires. C'est le genre de discours politique que Fabien abhorre, et n'eut été la présence, assise à côté de l'orateur, de la belle femme brune qui semble beaucoup s'ennuyer aussi, il aurait déjà quitté l'amphi.
Enfin, comme à regret car on sent bien qu'il pourrait tenir plusieurs heures à asséner des platitudes émaillées de chiffres forcément truqués, le doyen, qui se croit un orateur hors pair, conclut son exposé avec un large sourire façon président des États-Unis :
- Et maintenant, je — un pronom qu'il affectionne et qui a roulé avec délectation dans sa bouche des dizaines de fois dans son speech — je vous laisse avec le docteur Marie Chellet qui va vous expliquer le déroulement de la mission d'étude pour laquelle *je* sollicite votre participation...
Sous-entendu, c'est *moi* le génial instigateur du projet, et c'est elle la technicienne qui va s'occuper des détails triviaux. Il quitte la salle. Quelques cornichons jugent bon d'applaudir, ce qui fait revenir le cuistre, qui ajoute :
- *Je* vous remercie, et *je* vous félicite à nouveau d'avoir répondu à *mon* annonce. A bientôt, *je* l'espère.
Il tourne enfin le dos pour gagner la porte, et le docteur Chellet se lève en esquissant une moue assez disgracieuse, ce qui lui acquiert d'emblée la sympathie de Fabien.
Elle est grande, soignée dans son strict tailleur bleu gris. Une belle femme dans toute la plénitude de ses trente-cinq ans. Sa longue chevelure est sagement retenue en arrière par une barrette, dégageant un front lisse et harmonieux. N'eut été sa carnation pâle, cette brune au visage allongé pourrait être une danseuse de flamenco. Elle semble disposer d'une beauté souveraine dont elle ne fera la grâce qu'à un élu, qui ne saurait être aucun des membres de l'auditoire.
Elle empoigne un boîtier de télécommande et entre directement dans son propos en affichant une première image sur l'écran de l'amphi.
- Derrière le rideau, il y a... un autre rideau.
L'image montre le portrait en buste d'un beau jeune homme souriant, au physique de cinéma. Il arbore une chemise blanche et une cravate sobre, bleue à petits motifs qui répond superbement à la couleur de ses yeux.
km.t
La pyramide de Kheops resplendit farouchement sous la clarté du lever de lune.
Voici douze siècles que le pharaon Moshé XI avait réussi à convaincre les Hébreux de revêtir la pyramide d'une mince couche de neige sèche outrageusement lisse et blanche, inaltérable, une technique qu'ils maîtrisaient depuis longtemps et qu'ils avaient mise en œuvre à grande échelle sur le Mont Sinaï. Avec leur humour désespéré, ils avaient néanmoins fait observer que la période de garantie était largement écoulée et qu'ils n'étaient pas tenus d'assurer le service après-vente de la pyramide, bien qu'ils aient autrefois activement participé à sa construction. Mais Moshé XI avait su être persuasif, comme son lointain ancêtre qui fut un jour recueilli, selon une légende immémoriale, flottant dans un berceau d'osier sur les eaux du Nil, par une princesse au nom oublié qui en fit le premier pharaon hébreu.
Au-delà, le halo jaunâtre des lumières du Caire rehausse la pureté du monument. Sa partie supérieure paraît tronquée car le pyramidion qui la recouvre, étincelant lacis métallique pendant le jour, semble de nuit bien terne en comparaison des faces immaculées.
Dans le périmètre sacré autour de Kheops, toute construction a été interdite depuis toujours. C'est pourquoi le site est jonché de milliers de tentes. Tous les commerces s'y rencontrent : marchands de chameaux, de tapis, de nourritures étranges ou ordinaires, de bijoux et de talismans, de parfums ; écrivains publics, marchandes d'oublis, échoppes d'artisans, officines de massage qui offrent tous les services à tous les prix, guérisseurs, vendeurs de tout ce qui se peut rêver lorsque l'on n'a jamais quitté les bords du Nil. Il a semblé à l'autorité du vizir plus facile de prélever sur chaque emplacement un impôt substantiel, et de creuser une galerie souterraine pour que le pharaon puisse accéder à son embarcation sur le Nil, que de disperser cette ville de toiles. Tout cela dégage une puanteur à faire vomir un chacal. Le Nil ne charrie pas que des berceaux d'osier et des valeurs sacrées ; ses eaux troubles ont bien du mal à refléter la lueur de la lune qui est en train de monter au-dessus de la rive est. À quelque chose malheur est bon, on ne risque plus de se faire croquer un pied en allant uriner dans le fleuve : les crocodiles, écœurés, ont fini par migrer vers Memphis. Ces nettoyeurs traditionnels de la grande artère de circulation de Kemet, le Nil sacré, ont dû abandonner la partie, vaincus par une occupation indomptée.
A l'emplacement où le pharaon Kheops avait eu le projet de bâtir une immense statue à son image, qui aurait été un Sphinx majestueux, les plus élégants commerces et les plus sordides trafics se côtoient avec une splendide indifférence.
En dépit de ce capharnaüm - à moins qu’il n’en soit un ingrédient propice - l’atmosphère est joyeuse, débridée sans excès. Les rixes sont très rares, les emportements se trouvent vite noyés dans l'ambiance folâtre qui plane sur le site comme la fumée des milliers de quinquets à huile. Aucun diable ne saurait résister au rire. Le vin est coûteux, mais le partage est une tradition millénaire, personne n'est exclu de la fête.
Les lourds bateaux à rames font une navette incessante avec Le Caire, débarquant ou ramenant des foules cosmopolites. Mêlés aux bruns habitants de Kemet, des voyageurs venus des dix-sept Tribus s'égaillent dans les allées tortueuses dessinées par l'usage entre les tentes hétéroclites. Les grands Celtes roux aux yeux bleus côtoient des Noirs à la peau aux nuances variées, du pourpre au noir profond en passant par les bleus et les bruns les plus délicats. Les Mogols à la peau cuivrée se mêlent aux Grecs, aux Hittites, aux Hébreux, aux Arabes. C'est l'occasion pour tous et toutes de revêtir des tenues aux couleurs vives et aux fentes hardies qui auraient choqué en ville. Les femmes affichent les maquillages les plus audacieux, c'est la fête tous les jours lorsque l'on vient à
de l’Auteur Pat GEAIMÉ
Le petit vaisseau « L'Orphéon » venait de considérablement réduire sa vitesse afin d'éviter la panne sèche, toujours redoutée dans ces parages où le premier ravitailleur se trouve à des millions de kilomètres.
Les quatre jeunes amis effectuaient leur Stage de Découverte sur ce yacht de classe interplanétaire appartenant à leur Université, et avaient décidé d'explorer les corps de la ceinture de Kuiper 1, dans le système solaire extérieur. Pour économiser le carburant, ils avaient judicieusement placé leur nef en L5 2 par rapport au planétoïde Éris (136199) 3 et à son soleil artificiel qui orbitait autour. Le yacht formait ainsi la troisième, bien que minuscule, boule de ce jeu de billard spatial.
Huguette pilotait avec tendresse, ce qui consistait à échanger des câlineries avec Ivana, l'Intelligence Artificielle qui représentait le Syndicat des Ordinateurs du bord. Franek essayait de persuader l'ordinateur culinaire de mettre plus de chocolat, plus de beurre, moins de farine dans les petits pains, et tant qu'à faire, s'il pouvait ajouter un soupçon de liqueur d'abricot... Mais la partie était loin d'être gagnée. Dolorès, quant à elle, se chargeait de la navigation, autrement dit elle essayait de comprendre ce que pouvaient bien comploter les logiciels routeurs, et elle en informait Huguette qui d'ailleurs n'y prêtait qu'une attention polie. Karl, comme souvent, ne faisait rien, ce qui n'empêchait pas les autres de l'adorer.
Désormais sagement maintenu en place par l'attraction conjuguée de la planète et de son soleil, « L'Orphéon » se prélasse dans le douillet creux gravitationnel ménagé par ces deux corps célestes. Seule Dolorès,
— Nous voici à pied d'œuvre pour découvrir un monde qui n'est pas souvent visité, conclut Dolorès. Nous n'avons pu trouver dans les archives aucun récit de voyage, et rien dans les Instructions Nautiques à part les coordonnées, c'est curieux, non ? Nous allons être les premiers, notre Université en sera honorée. Voyons un peu...
Elle active le transpondeur et le scanner de fréquences. Il s'écoule moins d'une minute pour que l'écran affiche le visage glabre et réjoui d'un homme d'une quarantaine d'années, dont la voix chaude emplit soudain le cockpit :
— Yacht « L'Orphéon », bienvenue ! Désirez-vous visiter notre monde, la planète Concordia ? Je suis le lieutenant Jasper, l'officier d'immigration chargé de vous informer des modalités administratives si vous décidez d'atterrir.
— Bonjour monsieur l'officier, et merci pour votre accueil. Nous sommes en voyage d'études, et il nous serait agréable de visiter votre monde, répond Dolorès un peu étourdiment.
Huguette marque un léger temps d'arrêt alors qu'elle était en train de siroter une boule de chocolat avec une paille, microgravité oblige. Un léger froncement de sourcils alerte Dolorès, qui corrige :
— Que pouvez-vous nous dire pendant que nous nous préparons ?
— Je suis autorisé à vous informer que 86 % des navires qui croisent dans nos parages décident de se poser chez nous.
^
V
Les morts n’ont pas d’importance et ils sont en paix.
Il est préférable de garder les larmes pour les vivants.
Ou alors, de ne pas pleurer du tout.
Sauf, qu’il y a un temps pour pleurer.
Un temps pour les Tos.
Un temps pour les Mis.
Un temps pour les Tars.
^
Il était une fois un temps où vivaient les Mis, juste après les Tos et juste avant les Tars.
C’est pour Mi, comme un cadeau à ouvrir à minuit entre le vingt-quatre et le vingt-cinq. Pas comme To le fit à moins cinq ou comme Tar le fera à cinq.
C’est maintenant ou jamais, avant ce ne se peut, après n’est pas envisageable.
Les Tos naquirent à l’instant du pays du passé.
Les Mis naissent à l’instant du pays du présent.
Les Tars naîtront à l’instant du pays de l’après.
V
V
MaîtreTan du pays du présent, GranMiTan, surélevé d’une estrade d’un mètre de haut, se prépare à haranguer la foule des MiTans, dont il est le responsable.
GranMi, tout en scrutant tout un chacun avec la plus grande application, se demande si sa génération sera capable de faire du laissé des Tos, un laissé de valeur pour les Tars.
Il n’a à l’esprit que d’entreprendre tout ce qui lui sera humainement possible pour former les Mis, à devenir des bâtisseurs de première — que les Tos n’ont pu être — dont les Tars n’arriveront pas à la cheville — .
C’est son credo, son cheval de bataille, son but.
Qui se définit très explicitement dans son discours de Réunion Première, l’obligatoire, rapidement mis en place après l’arrivée.
- MiTans...
- ...
- Nous avons du pain sur la planche ! Dès cet instant, tous autant que vous êtes, devez considérer que je suis votre meneur et que je vous mènerai à la baguette si vous n’accomplissez pas votre part... et plus.
- Hé ho... doucement là !
Les oubliés de Pat GEAIMÉ
Tout commence, tout se réveille, tout se brouille, la faute à trois innocentes tomates.
Ce matin de printemps, le ciel est clair pour encore quelques heures, avant l'orage qui ne va pas manquer d'éclater à midi. Selv est heureuse de ne pas avoir à donner ses trois heures quotidiennes aux fermes, pour le trimestre en cours : le tirage au sort lui a attribué des tâches de tissage et de confection de vêtements. Elle aime bien, d'abord parce qu'elle peut s'y consacrer quand elle veut, contrairement à ce qu'imposent la plupart des travaux agricoles. Et puis elle peut ainsi exprimer son goût artistique en incluant des motifs de son cru dans ses tissus. C'est toujours mieux que de traire les chèvres ou de récolter les pommes de terre, besognes pourtant indispensables auxquelles il est vain, et même risqué, de vouloir se soustraire.
Selv regagne son logis en longeant le cours nonchalant du grand fleuve. Le niveau a encore monté, observe-t-elle, mais moins que prévu. Tant mieux ! Nos maisons ne sont pas encore trop menacées. Elle rêvasse, la tête encore emplie des bribes des leçons qui l'ont le plus marquée ce matin : une heure de mathématiques, science pour laquelle elle ne se passionne guère, malgré la beauté et la subtilité des raisonnements, suivie de deux heures d'histoire de l'humanité qui lui avaient plu énormément.
Une seule phrase, prononcée et écrite au tableau noir par la vieille Balma en exergue à son cours de quatrième année : « Une société sans mémoire est condamnée à reproduire éternellement les mêmes erreurs » avait frappé son jeune esprit par sa simplicité et son évidence. Ce matin, l'enseignement portait sur les Grandes Invasions du premier millénaire : Huns, Vandales, Ostrogoths, Normands, pour ne citer que les plus féroces. Heureusement que nous sommes protégés des envahisseurs n'avait-elle cessé de penser pendant le cours.
Deux feuillets lilas, parcourus d'une petite écriture à l'encre mauve, un tracé rond et élégant non exempt de caprices, une femme il en jurerait. Sa grosse patte empoigne les pages qui sentent la cannelle - qu'est-ce que j'avais dit, il n'y a qu'une femme pour parfumer son courrier - et il commence à parcourir difficilement les menus caractères. Il faut dire qu'il ne viendrait à l'idée de personne de sensé d'utiliser cet antique moyen de communication. Écrire à la main ! À part une fille aux yeux verts, bien entendu. J'espère que vous récupérerez vite. Ça ne ressemble guère à des excuses ! grommelle-t-il. Et « cher Hervé », elle ne manque pas de culot. Et sa pilule, elle peut se la mettre... enfin bon. Il poursuit :
(sous-titre)
Pour ses beaux yeux
(de la mi-page 3 à la mi-page 4)
UN DRÔLE DE PAROISSIEN, de l’Auteur Pat GEAIMÉ
Le vieil Erwin aimait à proposer sa carcasse à la caresse du soleil d'octobre, aux rayons encore généreux malgré quelques filaments argentés, chevelures paresseuses dans le ciel, annonciatrices des nuages lourds qui ne manqueraient pas de venir gâter les vendanges.
Le tilleul centenaire déployait sa ramure au-dessus du banc de bois aux accoudoirs de fonte peints et repeints en gris maladroit par des générations de cantonniers. Alors que l'angélus de midi tintait à deux pas de là, un peu en contrebas, le soleil bas parvenait à tromper le feuillage, à se glisser dessous, et à évaporer le givre de la nuit en volutes nacrées dans l'air calme. Erwin soupira et leva la tête comme pour prendre le ciel à témoin de ses réflexions, scrutant l'azur dans lequel les âmes ayant accumulé ici-bas de forts et bons mérites sont censées exercer leur bienveillante autorité sur le monde des mortels.
Amusant, pensa Erwin, comme le fonds de croyances de l'humanité peut recéler de vérités ! L'important est de savoir démêler ce qui n'est que chimères, conçues dans le but d'inspirer des comportements bienséants, de ce qui est fondé. Et dans ce cas précis, Erwin savait. Il ne croyait pas, il savait.